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Discours de Karl von Wogau au Colloque Forum du Futur- France- Allemagne: Ensemble pour l'Europe


Parler de la politique étrangère, de l'avenir, du rôle du couple franco-allemand pour cette politique étrangère… Si on regarde l'avancement de l'Union européenne dans les décennies passées, c'était toujours autour de grands projets que nos institutions se sont développées. C'était d'abord le développement du marché intérieur. Ensuite, c'était la monnaie commune, qui était un pas géant. Et ensuite, maintenant, je crois que le prochain grand projet, c'est la politique étrangère et de sécurité commune qui doit se développer. Je dois vous donner une opinion très personnelle dans ce contexte. Quand nous avons commencé ce travail, j'ai toujours pensé : il faut d'abord formuler une politique étrangère et ensuite une politique de sécurité et de défense. Dans les débats, j'ai trouvé que la chose la plus importante au sein de cette politique extérieure, c’était la sécurité. Pourquoi ? Parce qu'une politique extérieure c'est surtout pour garantir la sécurité des citoyens de nos patries et de l'Union européenne. La politique de sécurité est certainement au centre du développement d'une politique extérieure. Cette politique de sécurité de l’Union européenne s'est développée assez rapidement depuis 1998-1999.

Il y a eu des structures qui se sont développées, à Bruxelles, il y a eu des opérations sous commandement européen, en Bosnie et au Congo. Il y a l'agence de défense qui s'est développée, et il y a maintenant les groupements tactiques, en allemand on dit « battle group », et la question se pose : quel était le rôle du couple franco-allemand dans ce contexte ? Certainement, quand il s'agissait de créer le marché intérieur, c’était le couple franco-allemand. Jacques Delors était certainement la personne clé pour le développement du marché intérieur. Pour la monnaie commune, nous n'aurions pas de monnaie commune sans intervention très forte de François Mitterrand d’un côté, et d’Helmut Kohl de l'autre. C'était une opération très difficile, que j'ai vue de très près. Et maintenant nous parlons de la politique de sécurité et de défense commune. Cette fois ce n'est plus le couple franco-allemand, c'est le couple franco-britannique qui est au centre de cette opération. Par exemple, Saint-Malo, c'était le commencement de cette opération, c’était franco-britannique. Les groupements tactiques, c'était aussi une initiative franco-britannique. L'Allemagne est venue rejoindre cette opération, mais elle n'y était pas depuis le début. Je crois que c'est un élément très positif. Parce qu'avoir les Britanniques au milieu d'une telle opération, c'est quelque chose qu'on ne pouvait pas espérer au commencement. Mais c'est un fait dont nous devons parler.

Je voudrais aussi dire que le ciel franco-allemand n'est pas sans nuages aujourd'hui. Il y a certainement des difficultés. Il y a surtout des difficultés de coopération dans le domaine industriel. On voit toujours que c’est très difficile de gérer une compagnie franco-allemande, une opération franco-allemande. Car les approches industrielles, les façons de faire dans des industries, sont très différentes en France et en Allemagne. Et c'est pourquoi je crois que nous devons veiller à ce que dans ces opérations, il n'y ait pas seulement la France et l'Allemagne, mais aussi le Benelux. J'ai vu une proposition espagnole qui disait : il faut mettre ensemble les cinq grands et faire l'industrie commune entre les cinq grands. Je crois personnellement que cela ne va pas fonctionner. Mon expérience me montre que cela peut seulement fonctionner s'il y a aussi des petits pays, comme les gens du Benelux qui connaissent la France et l’Allemagne très bien, et jouent un rôle d’intermédiaire extrêmement important. Nous avons vu les difficultés avec Airbus, les sensibilités en Allemagne, à Berlin, et j'ai eu beaucoup de discussions là-dessus. Et je crois qu'il faut encore un travail très intensif, pour faire d’EADS une compagnie européenne, et non pas une compagnie allemande, une compagnie française. En tant que parlementaire européen, dans les débats que j'ai, j'ai l'impression que ce sont des compagnies presque séparées. Quand nous avons eu des discussions sur Galileo, on voyait un phénomène qui était similaire. Et je suis très heureux que nous ayons réussi à trouver un financement commun, à travers le budget européen. Le Parlement européen a joué un rôle important dans ces discussions. Je crois qu'il était très important que nous ayons su financer ce projet commun. J'espère beaucoup que dans l'avenir ça va bien fonctionner.

Donc, laissez-moi faire deux ou trois remarques sur l'avenir de la coopération dans ce domaine. D'abord, il y a tout ce débat sur la stratégie de la sécurité et de la défense européenne qui a été développée par J. Solana. Le débat est de savoir s'il faut une nouvelle stratégie, ou bien un livre blanc sur l'implémentation. Moi je suis très en faveur du livre blanc, parce que je crois que les notions de base de cette stratégie tiennent debout, aussi pour l'avenir. Mais la grande question, c'est la question de l'implémentation, de la réalisation de cette stratégie dans le travail de jour en jour. Je crois qu'il faut voir aussi que là, il ne s'agit pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Parce que parfois, je suis très impressionné par le fait que si on additionne les budgets de défense des 27 pays membres de la communauté, on en arrive à un chiffre de 170 milliards d'euros par année. Ce qui est un chiffre tout de même important. Le fait qu'en Europe, les 27 pays membres disposent de 2 millions de soldats. Les États-Unis : 1,2 million. Les 27 pays membres : 2 millions de soldats. L'Europe dispose de 10 000 chars et de 3 000 avions de combat. Alors, si on entend ça, on pourrait penser que c'est une armada très impressionnante. Et en même temps, nous avons le débat tout récent sur le Tchad, le fait qu'il fallait trouver 6 hélicoptères, et que maintenant ce ne sont plus les pays membres de l’Union européenne qui en débattent, mais ce sont l’Ukraine et la Russie qui se posent la question si ce seront eux qui vont fournir ces 6 hélicoptères. Cela démontre qu'il y a des possibilités de faire mieux, et de dépenser mieux.

Il faut se demander comment il faut faire, où il faut commencer. Je crois qu'il faut commencer avec les projets qui sont relativement grands. Des projets qui vont au-delà du potentiel financier des différents pays membres. Comme par exemple, le fait que nous avons trois satellites de reconnaissance dont les résultats ne sont pas toujours disponibles pour les opérations de l'Union européenne. Je crois qu’en faire un projet, et le mettre dans un contexte européen, c'est une tâche qui est très importante pour l'avenir. Deuxièmement, la télécommunication protégée, où il y a cinq différents satellites, cinq différents systèmes pour diriger des opérations militaires sous commandement européen : en faire un projet commun, Software Defined Radio , qui est un projet de développement commun. Il est très important qu'à la fin, nous ayons un standard technique européen, et non pas deux. Et il faut aussi se demander quel peut être l'avenir des groupements tactiques que nous avons. Nous avons un groupe tactique suédois qui serait extrêmement bien préparé pour mener une opération en Afrique. Mais il n'est pas disponible selon les règles pour l'opération au Tchad. Il faut se demander si cette règle tiendra debout, sera nécessaire pour l'avenir. Il faut aussi se demander comment on peut aller au-delà de ces groupements tactiques, si c'est vraiment nécessaire que ce soit des troupes qui soient seulement à la disposition de l'Union européenne pour une demi-année, non pas pour plus longtemps. Je me suis toujours demandé pourquoi l'Eurocorps ne serait pas mis à la disposition permanente de l'Union européenne. Cela pourrait être une proposition aussi, pour l'année qui vient et qui sera une année de débats intenses sur les questions de la sécurité, de la défense.

Finalement, je crois qu'il faut aussi mieux définir ce qu'est l'intérêt européen. Naturellement, il y a les intérêts nationaux. Si je vais à Chypre, en Grèce, il y a des préoccupations différentes. Si je parle avec mes amis Baltes, ils ont des préoccupations qui ne sont pas exactement les mêmes. Là, certainement, il y a des différences. Il y a de grandes différences dans les préoccupations des différents pays membres. Mais il y a aussi des intérêts communs, comme l’approvisionnement en énergie et d'autres, je crois qu'une des tâches pour l'année qui vient sera aussi, de définir non seulement les intérêts nationaux, mais aussi l’intérêt commun européen dans le domaine de la sécurité et de la défense. Merci beaucoup.